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10 janvier 2017
Mehmet Alparslan Saygin ou la laïcité repensée dans l’ordre constitutionnel belge !
Titulaire d'un master en droit et d'un master en sciences politiques de l'Université libre de Bruxelles, Mehmet Alparslan Saygin est spécialisé en droit public et en droit social. Parmi ses centres d'intérêt, la laïcité, la séparation des Églises et de l’État ou plutôt dans son langage la non-ingérence réciproque, les droits et libertés fondamentaux et la lutte contre les discriminations. Auteur de nombreux articles, ce brillant intellectuel participe régulièrement à des conférences et des séminaires sur ces différents thèmes.

Mehmet Alparslan Saygin donnera un cours-conférence dans le cadre du Collège Belgique, le 22 février 2017 prochain, au Palais des Académies à Bruxelles, intitulé La laïcité dans l’ordre constitutionnel belge. C’est, du reste, le titre de son ouvrage paru aux Éditions Academia L’Harmattan, préfacé par Hervé Hasquin. Nous l’avons rencontré et ce fut un plaisir car tout est clairement exposé au risque de perturber mais aussi de faire prendre conscience de ce qu’implique penser à nouveaux frais la laïcité aujourd’hui. Voici, en guise de mise en débat, ce que vous pouvez lire en quatrième de couverture de son livre : « Bien que la laïcité ne soit pas inscrite dans la Constitution belge, la Belgique est un État laïque, plus laïque que la France à bien des égards. C’est la thèse développée dans cette publication. Trois principes qui donnent corps à la laïcité sont approfondis dans cet ouvrage : l’égalité, la non-discrimination et la liberté religieuse. Par ailleurs, l’auteur y discute une série d’arguments invoqués pour contester le caractère laïque de l’État belge : la reconnaissance et le financement public des cultes, l’organisation de cours philosophiques dans l’enseignement officiel et l’absence d’interdiction explicite du port de signes convictionnels dans l’enseignement officiel et la fonction publique, entre autres. Le tout à travers une comparaison systématique avec le système français, généralement présenté comme le parangon de la laïcité. À travers cet ouvrage, l’auteur lance un appel pour la création d’une institution publique de protection de la laïcité. »


Par quel chemin en êtes-vous arrivé à vous pencher sur ces questions relatives à la laïcité ?


Le droit m’a toujours intéressé, la politique également. C’est la raison pour laquelle j’ai étudié les deux. De prime abord, il est vrai que mon cursus est juridique mais je l’ai agrémenté d’un cursus en sciences politiques car cela combinait deux facettes d’un même intérêt pour les enjeux sociétaux et, surtout, j’ai été interpellé par les questions de justice, avec la résolution de problèmes qui concernent les atteintes aux droits et aux libertés fondamentaux, les exclusions et les discriminations. Une fibre qui commençait déjà à se développer dès la fin de mes études secondaires. Par exemple, j’ai participé, avec les legal teams, aux petits groupes de juristes qui encadraient les manifestations altermondialistes afin que leurs droits fondamentaux ne soient pas brimés par les forces de l’ordre. Mes études ont donc nourri ma réflexion personnelle, réel vecteur dans la poursuite de mon trajet.

Oui, lorsqu’on vous lit et vous entend, on sent de l’expérience ainsi qu’une articulation précise et maîtrisée de votre pensée !

(Rires !) Ce sujet m’intéresse depuis longtemps, en effet ! C’est une espèce d’arbre avec des racines multiples et variées. Quand on parle de laïcité, on doit parler d’égalité, de non-discrimination, de liberté religieuse, de non-ingérence et de vivre ensemble.

Non-ingérence réciproque écrivez-vous dans votre ouvrage et dans votre conférence, La laïcité dans l’ordre constitutionnel belge, plutôt que séparation de l’Église et de l’État.

Oui, la formule séparation est productrice de confusions. Comment, dans notre société, des comportements et des discours, qui mettent en avant la laïcité, peuvent être créateurs d’exclusions ? C’est une contradiction fondamentale dans les termes. Non-ingérence réciproque plutôt que séparation parce que l’enjeu n’est pas l’étanchéité mais plutôt la garantie que chacun reste dans son rôle et dans sa sphère de compétences. Mon travail a été extrêmement bien reçu et même paradoxalement car l’ULB n’est pas le lieu où la thèse que je défends a le plus de chances d’être accueillie favorablement.

Avec cette idée, que vous battez en brèche, que la laïcité est une option philosophique ?

Oui, et le simple fait qu’un État puisse reconnaître quelque chose qui s’appelle laïcité est, à mes yeux, une contradiction dans les termes puisque la laïcité est un bien commun, qui appartient à tout le monde et à personne. C’est ce qui lui donne sa valeur car il n’y a pas de propriétaires de la laïcité. Ce principe n’a pas vocation à avoir des représentants, officiels ou officieux. La laïcité organisée est, du reste, une formule malheureuse parce qu’il n’y a pas à organiser la laïcité. C’est l’idéologiser ! Découle de cette confusion dans les termes une série d’attitudes et de discours qui ostracisent et qui excluent. De l’autre côté, vous avez des personnes qui se revendiquent de convictions, quelles qu’elles soient, et beaucoup d’entre ces croyants pensent que la laïcité est antithétique à leur foi. Or, il n’y a pas d’opposition à établir entre les étiquettes « croyant » et « laïque ».

Ne vous définissez-vous pas d’ailleurs comme laïque musulman, un laïque croyant ?

Tout à fait. En d’autres termes, je suis laïque à savoir que j’adhère à ce principe basé sur l’égalité, la non-discrimination et la liberté, et, sur le plan convictionnel, je suis musulman, à savoir que j’adhère à une foi en particulier. Il n’y a pas d’incompatibilité. Je suis donc un laïque musulman, comme d’autres sont laïques chrétiens, laïques juifs, laïques bouddhistes ou encore laïques… athées.

On peut donc être laïque athée !

Exactement ! Et cela permet de clarifier et de pacifier le débat. Il faut arrêter de susciter des antagonismes. Tout le monde a, en réalité, sa place dans la maison laïcité. Avec cette métaphore que j’affectionne particulièrement : la laïcité est un plat avec une série d’ingrédients. Il ne faut pas que manque un des ingrédients. En revanche, vous pouvez avoir les ingrédients constitutifs mais un plat qui manque de saveur ! Il faudra alors améliorer le dosage. Ainsi, l’application de la laïcité peut toujours être améliorée.

Comment bien comprendre dans ce contexte la liberté religieuse ?

Le simple fait de réduire la liberté religieuse à quelque chose qui bénéficierait exclusivement aux croyants est en soi une erreur. La liberté religieuse ne concerne pas que les religieux ou les croyants. C’est la liberté de croire, mais aussi celle de ne pas croire, de ne plus croire ou de changer de croyance. En somme, c’est l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui consacre aussi la liberté de pouvoir faire la promotion de sa croyance auprès des autres, car comment voulez-vous user de votre liberté de changer si on ne peut pas accepter qu’on vienne vous faire la promotion d’une autre façon de voir les choses ?

Le retour du religieux au XXIe siècle est clair à vos yeux ?

C’est évident ! Comme s’il y a avait une ère post-religieuse. C’est une erreur historique. On voit bien que le XXIe siècle est le retour en force du religieux. C’est s’illusionner de penser le contraire et, de la même manière, de croire en la supposée disparition du non religieux. Comment donc revenir dans notre société vers les fondamentaux ? Il faut de la clarté et jeter les bases d’une réconciliation avec la laïcité. Je rencontre souvent des gens, lors de la présentation de mon livre, qui ont été conditionnés à penser que la laïcité est une espèce de notion indéfinissable, impossible à circonscrire. Je ne partage pas du tout cette manière de voir. Je pense que la laïcité peut connaître des applications diverses mais que ses principes constitutifs peuvent être clairement définis. Je ne peux pas me réclamer de la laïcité si j’accepte qu’une partie de la population bénéficie de moins de droits. Nous avons un code civil, un code pénal et un code judiciaire, avec des règles de vie en société dont les dispositions permettent de les faire respecter. Mais c’est autre chose que de dire à des gens qu’ils sont exclus sous prétexte qu’ils veulent vivre leur foi. Si on accepte cela aujourd’hui, on prépare des lendemains où lorsque les rapports sociétaux se seront inversés – les minorités actuelles seront les majorités de demain, l’histoire nous l’enseigne – les mêmes discriminations tomberont sur les nouvelles minorités. Autrement dit, certaines personnes se revendiquant d’une laïcité « qui exclut » se tirent littéralement une balle dans le pied ou scient la branche sur laquelle ils sont assis !

En définitive, vous reconstituez tout le tissu intellectuel qui tourne autour de la laïcité !

Une série de discours aujourd’hui qui mettent en avant la laïcité, en réalité instrumentalisent la laïcité pour exclure. Car vous n’allez pas vous lever le matin et aller clamer sur les plateaux de télévision ou de radio que vous êtes partisan de la discrimination. Je ne sais pas si on se rend compte de la contradiction car la laïcité c’est l’inclusion, l’égalité, la liberté et la non-discrimination. Une formule que j’utilise toujours est que la laïcité n’est pas une conviction philosophique mais un principe qui permet la libre expression de toutes les convictions philosophiques sur un pied d’égalité. Si vous amalgamez la laïcité à une de ces convictions, vous cessez d’en faire un lien qui chapeaute toute la structure.

La Cour constitutionnelle a mis en évidence que le cours de morale est en fait un cours convictionnel comme un autre, comment penser dès lors les cours philosophiques ?

Je ne suis ni un partisan ni un opposant des cours philosophiques. En revanche, je suis un partisan de la clarification des termes du débat. L’essentiel est dans ce que j’appelle l’autonomie doctrinale. Il ne faudrait pas que sous prétexte qu’on organise ces cours philosophiques, ce soient les institutions publiques qui en dictent le contenu. Faut-il pour autant permettre que tout soit dit dans ces cours ? Non ! Si lors d’un cours de religion ou de conceptions philosophiques, quel qu’il soit, un enseignant dit par exemple qu’il faut tuer son prochain, sans même voir si théologiquement parlant il a raison – cela ne regarde pas l’État –, l’État doit faire respecter le code civil et le code pénal en mobilisant les dispositions légales car l’intégrité physique des gens est en cause. Aujourd’hui, le combat contre une série de « dérives » conduit à supprimer des droits fondamentaux. C’est dramatique !

Même chose pour les signes convictionnels ?

Sous le couvert de l’apparence, on empêche des fonctionnaires d’arborer des signes convictionnels parce qu’on dit qu’il ne faut pas inquiéter les gens qui, par exemple, viennent aux guichets de l’administration. C’est absurde. Je reprends à mon compte le raisonnement de Sébastien van Drooghenbroeck qui montre qu’en légitimant la peur du visible, on légitime la peur de l’invisible. Interdisons alors aussi tout ce qui est invisible. On ouvre ainsi une boîte de Pandore. C’est la folie collective, la loi de la jungle.

La religion n’est-elle pas pourtant une affaire privée ?

« Oui à la religion, mais dans la sphère privée. » Une formule qui apparaît de prime abord très intelligente. Or, il faut savoir que la sphère privée ne connaît pas de définition légale. Beaucoup disent « sphère privée » mais veulent en réalité dire « sphère intime ». Les gens seraient libres dans leur intimité. Encore heureux ! C’est surtout dans l’agora que cela a un sens de vous donner la possibilité de vivre librement. La liberté religieuse, c’est en privé et en public. Par ailleurs, la mission de la laïcité n’est pas d’émanciper mais de donner les outils et la possibilité à tout un chacun de définir sa propre émancipation dans le respect de la même possibilité chez autrui.

Propos recueillis par Robert Alexander

Quelques orientations bibliographiques :

La laïcité dans l’ordre constitutionnel belge, Éditions L’Harmattan, coll. Academia, 2015.

Quelques liens utiles pour lire et écouter :
http://www.editions-academia.be/index.asp?navig=catalogue&obj=complement&no=8837
Article dans l’hebdo M… Belgique consacré au livre « La laïcité dans l’ordre constitutionnel belge ».

http://www.editions-academia.be/index.asp?navig=catalogue&obj=complement&no=8838
Émission radio avec la Pensée et les Hommes consacrée au livre « La laïcité dans l’ordre constitutionnel belge ».

http://www.editions-academia.be/index.asp?navig=catalogue&obj=complement&no=10036
Podcast de la conférence de présentation du livre « La laïcité dans l’ordre constitutionnel belge » au Centre de droi