La douleur, chacun d'entre nous en a fait l'expérience au cours de sa vie, et elle a façonné ce que nous sommes. Pourtant, elle reste l'un des phénomènes les plus insaisissables que nous comprenons encore très mal, avec la charge de stigmatisation qui s'ensuit lorsque la perception de la douleur se dérègle et devient pathologique. Le manque de compréhension de la douleur a conduit à l'un des fardeaux sociétaux les plus lourds pour l'humanité. La douleur rebelle reste la cause la plus fréquente d'invalidité qui nuit à la qualité de vie, entraînant d'énormes coûts économiques, mais aussi, et peut-être surtout, un échec social : souffrances inutiles, manque d'empathie et exclusion.
La crise actuelle de la toxicomanie et sa gestion désordonnée illustrent les conséquences d'une mauvaise conception la douleur et de sa forme pathologique, la douleur chronique. Ainsi, une compréhension correcte de la douleur, normale et anormale, dans toutes ses dimensions, de la neurobiologie à l'expérience humaine, est essentielle non seulement pour aider ceux qui souffrent, mais aussi parce qu'elle nous apprend à nous connaître nous-mêmes et nous donne les moyens d'agir pour gérer notre souffrance.

L'une des clés pour sortir de cette impasse est de comprendre les mécanismes neurobiologiques qui régissent la façon dont notre cerveau s'adapte et se désadapte en réponse à un déséquilibre de notre système sensoriel dû à une blessure corporelle ou à une maladie. C’est essentiel pour pouvoir cibler la cause première de la douleur anormale et pathologique en vue d'un développement thérapeutique. Le drame, c'est que la plupart des médicaments utilisés à ce jour pour traiter la douleur chronique sont issus d'une utilisation secondaire et ne sont donc pas conçus pour s'attaquer directement à la source du problème.

Lors de cette conférence, Yves De Koninck illustrera comment certains de ses travaux et ceux de ses collègues ont permis d’identifier des mécanismes clés expliquant le traitement aberrant de la douleur par le système nerveux ainsi que des effets secondaires à la suite de certains traitements prolongés, comme la dépendance aux opioïdes. Ces découvertes permettent d’envisager des traitements plus directs des causes premières de la douleur chronique ainsi que la reconnaissance, par les pairs, pour les gens qui souffrent, de la véracité et la nature physique de leur souffrance, étape essentielle la déstigmatisation et l’inclusion.