Lumières est une série d’articles exclusifs rédigés par des membres de l’Académie royale de Belgique. Chaque article reflète la vision unique de son auteur et n'engage pas l'Académie, mais vise à éclairer notre compréhension des enjeux contemporains.Quelle diplomatie pour le Moyen-Orient ?Au plus fort des combats, la diplomatie a du mal à exister. Dans ce déluge de feu qui s’étend du territoire de Gaza jusqu’au cœur de Beyrouth, les appels au cessez-le-feu sont à peine audibles. Israël a mené le 26 octobre des frappes aériennes sur le territoire iranien en représailles à l’attaque de missiles iraniens du 1er octobre. Cette opération militaire israélienne s’inscrit dans une logique de dissuasion vis-à-vis de ses voisins, mais est une riposte graduée. Tout semble indiquer que tant Israël que l’Iran veulent éviter un embrasement général dans la région. Cela laisse encore une marge de manœuvre à la négociation. Mais il faut savoir que la diplomatie de manière générale n’existe pas en dehors du rapport de force. En période de guerre, elle ne peut jouer son rôle que lorsque l’une des parties est enlisée, ou lorsque les deux parties sont à bout de souffle. Or c’est la logique du tout ou rien qui prévaut pour le moment. Et, pourtant, des propositions de cessez-le-feu ont été formulées.
Une première proposition a été négociée pendant des mois pour Gaza. Elle prévoit la libération des otages encore aux mains du Hamas en échange de prisonniers palestiniens, et une aide humanitaire pour les deux millions de Palestiniens vivant sur territoire exsangue, si meurtri par cette guerre qui dure depuis un an.
Mais chaque fois que les négociations autour de cette proposition semblent sur le point d'aboutir, elles échouent faute de pression – et la perspective d'une fin des combats s'éloigne à nouveau tragiquement. Plus profondément, dans ces conflits d’un nouveau type domine la logique du tout ou rien, où tout compromis paraît une compromission. Et il y a une forme de jusqu’auboutisme tant du côté des dirigeants du Hamas que du gouvernement israélien.
Plus récemment, un appel au cessez-le-feu au Liban a échoué et a provoqué des tensions entre les États-Unis et la France. Le président français a appelé les pays fournisseurs d'armes à Israël à décréter un embargo. Emmanuel Macron ne s’est malheureusement pas concerté avec ses partenaires européens, faisant ainsi cavalier seul (ce qui est rarement une bonne idée en diplomatie), s’exposant aux critiques du chef du gouvernement israélien.
Sur le fond, l’appel à un embargo sur les livraisons d’armes met en lumière le manque de cohérence entre les appels au cessez-le-feu d’une part, et les fournitures d’armes, de l’autre. Mais on sait que de toute façon l’assistance militaire américaine à Israël est solide et ne fera pas l’objet d’un débat aux États-Unis en cette période électorale, sachant combien la situation au Moyen-Orient s’est imposée dans la campagne présidentielle américaine.
La tragédie du 7 octobre 2023 met en lumière deux éléments déterminants : la centralité de la question palestinienne (si les accords d’Oslo avaient été mis en œuvre, le Hamas n’existerait quasiment pas) et le constat que la sanctuarisation du territoire israélien a échoué.
Il faudra un jour écrire l'histoire de l'(in)action diplomatique dans cette crise de l'après 7 octobre, entre les paroles sans lendemain, les postures publiques, les manœuvres obliques, alors que dans le même temps les dommages de guerre sont considérables.
Il est vite apparu que seuls les États-Unis avaient les moyens de peser sur les choix d’Israël. Du moins dans un premier temps. En Europe, l’attaque du 7 octobre et la guerre de Gaza ont révélé les divergences entre les vingt-sept États membres et au sein des institutions. En s’en remettant à la diplomatie américaine en vue d’un cessez-le-feu, les pays arabes emmenés par l’Arabie saoudite se sont, eux, privés de tout levier dans le dossier. Il est à noter, cependant, que les pays arabes, menés par Riyad, ont proposé de renverser ce qu’on appelle « la logique d’Oslo », laquelle prévoyait des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens à l’issue desquelles la solution à deux États serait établie. Cette fois, l’idée est de faire de la reconnaissance d’un État palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale un prérequis à des négociations de paix. Mais ni les États-Unis ni les pays européens n’ont soutenu cette approche.
La diplomatie paraît donc bien impuissante, pour le moment. S’il est vrai qu’Israël a su briser « l’axe de la résistance » en démontrant une supériorité militaire indiscutable vis-à-vis de tous ses adversaires régionaux (Hamas, Hezbollah, Houthis, Iran), c’est au prix d’un coût diplomatique considérable. Israël est beaucoup plus isolé qu’avant, et son image est ternie par la montée de l’antisémitisme dans le monde.
Certes, il y a eu maints déclarations et calendriers de toute sorte tout au long du processus (de paix) israélo-palestinien, naguère. Mais cette mécanique semble tourner à vide dès lors qu’elle est régulièrement contredite par les actions sur le terrain. Peut-être devrait-on en conclure, à l’instar du professeur Greilsammer
1, qu’« Israéliens et Palestiniens ne sont pas encore mûrs pour les sacrifices exigés par la paix. À ceux qui s’impatientaient des lenteurs d’Oslo, je dirai au contraire : tout a été beaucoup trop vite, les mentalités n’ont pas suivi, il faut laisser le temps faire son œuvre ». Mais n’est-ce pas trop tard ?
Sur la guerre de Gaza, nous devons aujourd’hui redonner un horizon politique crédible et rapide fondé sur la solution à deux États. Cela passe par un cessez-le-feu durable. Mais, à l’heure des risques d’extension régionale, il faut aller plus loin et réunir une conférence sur la guerre régionale au Moyen-Orient impliquant l’ensemble des acteurs régionaux, y compris Israël et l’Iran, qui puisse à la fois jeter les bases d’une solution à deux États et d’un accord de paix entre États de la région, aboutissant à une véritable détente, à l’instar des Accords d’Helsinki en 1975 sur le continent européen. Il ne s’agit pas de résoudre en quelques semaines un problème qui dure depuis la Guerre des Six jours en 1967, mais de créer un cadre et des processus dans lesquels chaque question puisse être traitée selon sa nature et son degré d’urgence. Il faut rompre avec la logique de la force. « Quand on a un marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous » avait coutume de dire le président Barack Obama. « La faiblesse de la force est de ne croire qu’à la force », écrivait Paul Valéry. Or, à l’opposé, la diplomatie est, pour citer Dominique de Villepin, « un couteau suisse, une somme d’outils imparfaits destinés à parer au mieux à toutes les éventualités et à bricoler des solutions qui sont toujours les moins mauvaises possibles ». Les grands diplomates sont d’abord des bricoleurs de talent, des négociateurs aguerris
2, prompts à détecter les moindres signaux qui pourront aboutir au règlement d’une crise ou d’un conflit. Il y aura bientôt un temps pour la négociation diplomatique au Moyen-Orient.
Raoul DelcordeAmbassadeur (hon) de Belgique
Membre de l’Académie royale de Belgique
Auteur de
La médiation diplomatique internationale, publié en octobre 2024 aux Editions de l'Académie
1Ilan Greilsammer, « Sombre et inévitable détour », dans
Le Monde, 2 février 2001.
2Raoul Delcorde,
Manuel de la négociation diplomatique internationale, Bruxelles, Bruylant (Larcier), 2023.