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7 mars 2017
Fabrizio Bucella, physicien, œnologue ou la passion des sens et du sens !
Fabrizio Bucella donnera un cours-conférence dans le cadre du Collège Belgique, le 14 mars prochain, au Palais des Académies à Bruxelles, intitulé Vin : les coulisses de l'histoire. Docteur en science, professeur ordinaire à l’Université libre de Bruxelles où il assume, avec grand bonheur aux dires de ses étudiants, les cours de physique, de mathématique, de méthodologie scientifique et d’histoire des sciences, cet intellectuel d’envergure s’est passionné pour le monde du vin et de la bière, à un point tel qu’il est devenu Sommelier (Associazione Italiana Sommelier), directeur de l’école d’œnologie Inter Wine & Dine, professeur au cercle œnologique de l’ULB, professeur de zythologie à l’IFAPME-Charleroi et professeur invité à l’Université de Bordeaux, master 2 en droit vigne et vin. Qui plus est, professeur accrédité de l’École des vins de Bordeaux, juré-expert de concours internationaux, membre de sociétés savantes comme la Chaire Unesco Culture et traditions du vin de l’Université de Bourgogne, ce fin épicurien est aussi correspondant en Belgique pour la Revue du Vin de France et membre du comité de dégustation tout en étant chroniqueur vin pour le Huffington Post. Il a également été directeur du programme de recherche Wine ID (janvier-mars 2013) sur les marqueurs numériques permettant d’évaluer la fraude dans le vin.

C’est dire si Fabrizio Bucella ne cesse d’étonner et même de déranger car cette double casquette semble ne pas correspondre à ce que l’on peut attendre soit d’un professeur d’université et docteur en science, soit d’un œnologue ! À moins que les deux puissent se répondre ? Nous avons demandé au passionné du goût, du sens et des sens qu’est ce pétillant découvreur de saveurs et de savoirs si l’un n’alimentait pas davantage l’autre, contrairement aux idées reçues stigmatisant peut-être à tort deux mondes séparés.


Comment devenir œnologue, sommelier et même zythologue (spécialiste de la bière) alors que vous êtes docteur en science et professeur ordinaire de physique et de mathématique ?


J’étais vraiment motivé lorsque je me suis inscrit en physique à l’ULB, même si j’avais hésité avec le droit et l’histoire. Mais je ne remercierai jamais assez cette école de la ville de Bruxelles, le lycée Dachsbeck, qui m’a appris énormément. Les professeurs d’histoire et de physique m’ont profondément touché. Aujourd’hui, lorsqu’on parle du Pacte d’excellence, il ne faut pas oublier que sous la technicité pédagogique, c’est le rôle fondamental du professeur, avec sa passion, qui avant tout est déterminant, en créant le désir chez l’élève. Le voyage de rhétorique s’est déroulé en Bourgogne où l’on a visité force caves et chais. J’ai vraiment eu un déclic à l’époque. J’ai dès lors suivi des cours de dégustation et d’œnologie, cours que je donne maintenant au cercle œnologique de l’ULB. Mais revenons aux années d’université qui s’enchaînent parallèlement avec une licence en physique. Le directeur du laboratoire où j’avais fait mon mémoire introduit un dossier pour une bourse de doctorat. Je deviens docteur en science, tout en passant ma qualification de sommelier, avec une thèse sur l’étude du signal de parole, l’enregistrement de votre voix, en essayant de cerner des descripteurs de bruit qui pourraient être des indices de voix dis-phoniques. On voulait comparer les résultats obtenus par ordinateur avec ceux obtenus par un panel de juges.

N’est-ce pas là méthode de dégustation, une histoire de palais et de gosiers somme toute ?

Oui, si l’on considère la question du jugement des vins par un panel de dégustateurs. Dans les deux cas, nous avons une correspondance méthodologique avec des jugements sur les sens, auditif, gustatif et olfactif, par rapport à une réalité que l’on veut cerner. C’était la première fois où en sortant d’études extrêmement cadrées, on m’expliquait que dans une démarche scientifique, il était tout à fait admissible de demander à dix personnes de classer les choses. Le lien était donc établi entre science physique acoustique et œnologie. C’est étonnant !

Votre carrière ne prend-elle pas en même temps un autre tournant avec la politique ?

En effet, je rentre très rapidement dans le cabinet ministériel de Françoise Dupuis comme responsable des domaines de recherche et cela en très bonne intelligence avec les autorités de l’université. Je deviens aussi vice-président du conseil d’administration de l’ULB. Le travail au sein des cabinets se poursuivra jusqu’en 2009.

Comment revenez-vous comme professeur ?

Par le groupement des instituts d’architecture dont on m’avait demandé de m’occuper. Dans le même moment, je récupère les cours de mathématique d’un professeur qui prend sa retraite.

Pour en revenir au vin, en aviez-vous déjà goûté avant ce déclic en rhétorique ?

Oui, mon grand-père était un polyculteur et directeur de la petite coopérative du village. On me faisait goûter très jeune du rouge. C’est vraiment là que l’étincelle se produit. Du reste, beaucoup d’étudiants qui suivent le cours-dégustation au cercle œnologique me disent que la raison pour laquelle ils viennent a été causée par leurs parents qui leur ont fait découvrir quelque chose mais qui reste caché, sans une volonté de transmettre ce qui va de pair. Ils veulent savoir ce que recouvre cette forme de communion et de plaisir.

Justement, pourriez-vous nous introduire à votre cours-conférence du 14 mars prochain, dans le cadre du Collège Belgique, au Palais des Académies à Bruxelles, intitulé Vin : les coulisses de l'histoire ?

Mon intention est de montrer qu’il y a un acteur caché d’une série d’événements et de phénomènes qui est le vin. Cela permet d’explorer différentes choses comme cette idée de pasteuriser le vin ou la querelle entre le champagne et le bourgogne ou, encore, l’éradication du gamay au profit du pinot noir.

Que pensez-vous des sulfites ?

Les sulfites sont des antioxydants, des conservateurs qui protègent le vin contre le vieillissement. Les rafles (tiges, radicelles, pépins) sont de gros pourvoyeurs d’antioxydants et comme dans les années 80, les techniques de vinification n’étaient pas aussi précises qu’actuellement, beaucoup de rafles restaient après la presse, chargeant le vin d’antioxydants. Ainsi on pouvait garder le vin plus longtemps et non le boire jeune. Aujourd’hui, on a des pressoirs pneumatiques et un tri extrêmement précis, parfois optique, qui examine raisin par raisin en écartant toutes les rafles. L’avantage est de pouvoir boire les vins très jeunes. Pour revenir à votre question, les sulfites sont classés comme allergènes par l’Union européenne, leur étiquetage est obligatoire.

Peut-on dire que la qualité du goût change avec l’apprentissage des techniques de dégustation ?

Je suis partisan de l’école moderne qui considère que, sauf à avoir un défaut de type agueusie ou anosmie, le dégustateur moyen est capable de déceler des arômes principaux. Fondamentalement, il n’y a pas de mauvais palais. Pour ma part, j’ai l’impression que j’apprends tout le temps. En retravaillant mes cours chaque année, c’est d’ailleurs peut-être le secret de la passion, je garde cette vivacité qui permet de traverser avec dynamisme les sens, les savoirs et les saveurs. Je dis à mes étudiants que je vais essayer de leur faire percevoir une certaine forme de beauté ou d’esthétique, partir à l’aventure du beau, que ce soit en mathématique ou dans les autres disciplines, ce y compris la dégustation.

La dégustation ne mobilise-t-elle pas les sens et le sens ?

Oui, fondamentalement, que ce soit cette quête de la beauté en mathématique ou que ce soit ce vin à l’horizon que l’on cherche et que l’on ne peut pas décrire mais c’est vers lui que l’on tend. Nous cherchons tous cette forme ultime et c’est cela qui nous met en mouvement, en quête du sens par les sens ou des sens par le sens ! C’est la différence, dans l’art de la dégustation, entre les sens et la description des sens. Après, il faut encore mettre la norme par rapport à tous les vins que vous avez dégustés mais aussi par rapport à la bibliothèque de tous les vins que l’on voudrait déguster et qui toujours restent à découvrir.

Et la zythologie dans tout cela ?

Elle est venue pendant ma formation de sommelier en Italie avec un apprentissage de la bière. Récemment, par exemple, on a comparé, au Cirio à Bruxelles, des trappistes brunes : la Westvleteren 12, la Rochefort 10 et la St Bernardus 12. Et oui, bien que la Westvleteren ait été élue meilleure bière du monde, la Rochefort 10 sortait mieux à la dégustation ! Pour les blondes, j’ai un ami qui a fait la dégustation en cabine sensorielle à l’aveugle entre les triples : Westmalle, Karmeliet, Grimbergen et Leffe. C’est la Grimbergen qui est la mieux sortie.

Quels sont vos projets ?

Je suis actuellement de près une thèse de doctorat sur l’architecture-publicité en plus de la supervision des travaux de fin d’études. Cela représente beaucoup de travail. Par ailleurs, j’aimerais bien réussir à développer avec l’ULB l’œnologie et la zythologie en formation continue. Je souhaiterais aussi trouver une université partenaire en Italie. Cela me ferait grand plaisir !

Propos recueillis par Robert Alexander

Quelques orientations bibliographiques :

Le jugement des vins soumis aux procédures de choix mathématiques – Mieux comprendre les contradictions possibles et relativiser, Revue des Œnologues n° 145, 18 septembre 2012, pp. 53-55
Que font-ils ailleurs ? – Le vin belge, un vin d’appellation, Revue des Œnologues n° 143, 5 avril 2012, pp. 58-61
Comment l’architecture contemporaine participe à un nouveau changement de statut pour le vin ? Analyse du phénomène de nouveaux chais modernes construits par des architectes célèbres, Revue des Œnologues n° 148, 11 juillet 2013, pp. 57-60
Extension de noms de domaines .vin et .wine – décodage, Revue des Œnologues n° 151, 18 avril 2014, pp. 55-57
On consultera aussi le site de Fabrizio Bucella : http://www.huffingtonpost.fr/fabrizio-bucella/